36
Le seul qu’il ait jamais craint

— Non, ce n’est pas fini ! hurla Harry.

Il ne le croyait pas, ne le croirait jamais. Il continuait de lutter de toutes ses forces pour échapper à l’étreinte de Lupin. Lupin ne comprenait rien. Des gens se cachaient derrière ce voile, Harry les avait entendus murmurer la première fois où il était entré dans cette salle. Sirius se cachait, il voulait simplement rester hors de vue…

— SIRIUS ! s’écria-t-il. SIRIUS !

— Il ne peut pas revenir, Harry, dit Lupin.

Sa voix se brisait sous les efforts qu’il devait faire pour maintenir Harry.

— Il ne peut pas revenir parce qu’il est m…

— IL – N’EST – PAS – MORT ! rugit Harry. SIRIUS !

Il y avait encore beaucoup de mouvement autour d’eux, une agitation inutile, des éclairs qui jaillissaient par instants. Pour Harry, tous ces bruits étaient dérisoires, les jets de lumière qui passaient au-dessus de leurs têtes le laissaient indifférent, la seule chose qui lui importait c’était que Lupin cesse de prétendre que Sirius – qui se trouvait simplement à quelques centimètres derrière ce rideau – n’allait plus réapparaître, qu’on ne le reverrait pas surgir de l’arcade en rejetant en arrière ses longs cheveux noirs, impatient de se lancer à nouveau dans la bagarre.

Lupin entraîna Harry le plus loin possible du socle de pierre. Harry, les yeux toujours fixés sur l’arcade, en voulait à présent à Sirius de le laisser attendre.

Mais, tandis qu’il s’efforçait toujours de se libérer de Lupin, quelque chose en lui réalisait que Sirius ne l’avait jamais fait attendre auparavant… Il prenait toujours tous les risques possibles pour venir le voir, pour lui apporter son aide… S’il restait derrière cette arcade alors que Harry l’appelait comme si sa vie en dépendait, la seule explication possible était qu’il ne pouvait pas revenir… qu’il était vraiment…

Dumbledore avait regroupé au milieu de la salle la plupart des Mangemorts qui semblaient immobilisés par des cordes invisibles. Maugrey Fol Œil s’était glissé jusqu’à l’endroit où Tonks était étendue et tentait de la ranimer. Derrière le socle de pierre, il y avait encore des éclairs, des cris, des grognements ; Kingsley s’était rué sur Bellatrix pour prendre la relève de Sirius.

— Harry ?

Neville avait réussi à se laisser tomber de marche en marche jusqu’à l’endroit où se tenait Harry. Celui-ci avait renoncé à lutter contre Lupin qui lui tenait toujours le bras par simple précaution.

— Harry… Je zuis vraibent désolé…, dit Neville.

Ses jambes continuaient de danser toutes seules.

— Zed hobbe – Ziriuz Blag –, z’édait un de des abis ?

Harry acquiesça d’un signe de tête.

— Attends, dit Lupin à mi-voix.

Il pointa sa baguette sur les jambes de Neville et prononça la formule :

— Finite.

Le maléfice fut aussitôt levé. Les jambes de Neville retombèrent sur le sol, retrouvant leur immobilité, et il put se tenir debout normalement. Lupin était très pâle.

— Allons… allons retrouver les autres, dit-il. Où sont-ils ?

Il s’était détourné de l’arcade et l’on aurait dit que chaque parole qu’il prononçait lui faisait mal.

— Ils zont là-bas, répondit Neville. Un zerveau a addagué Rod bais je benze gu’il z’en est zordi. Et Herbiode est évadouie bais zon bouls bat doujours…

À cet instant, une détonation suivie d’un cri retentit derrière le socle de pierre. Harry vit Kingsley tomber par terre en hurlant de douleur. Bellatrix Lestrange tourna les talons et prit la fuite tandis que Dumbledore faisait volte-face. Il lui jeta un sortilège mais elle parvint à le dévier. Elle était déjà arrivée à mi-hauteur des gradins, à présent.

— Harry… Non ! s’écria Lupin.

Il avait un peu relâché sa prise et Harry en avait profité pour dégager son bras d’un coup sec.

— ELLE A TUÉ SIRIUS ! vociféra Harry. ELLE L’A TUÉ, JE LA TUERAI !

Et il s’élança, grimpant à son tour les gradins de pierre. Des cris retentirent derrière lui mais il n’y prêta aucune attention. Le pan de la robe de Bellatrix venait de disparaître par l’embrasure de la porte. Ils étaient revenus dans la salle aux Cerveaux…

Elle lança un sortilège au jugé par-dessus son épaule. Le réservoir s’éleva alors dans les airs et bascula, déversant sur Harry le liquide nauséabond qu’il contenait. Les cerveaux lui tombèrent dessus, glissant le long de sa robe, et commencèrent à dérouler leurs longs tentacules colorés mais il prononça la formule « Wingardium Leviosa ! » et ils s’envolèrent aussitôt. Dérapant sur le sol visqueux, il courut vers la porte, sauta par-dessus Luna qui gémissait sur le sol, passa devant Ginny qui lui demanda : « Harry… Qu’est-ce que… ? » puis devant Ron qui continuait de glousser faiblement et enfin devant Hermione, toujours inanimée sur le sol. Il ouvrit brutalement la porte qui donnait dans la salle circulaire et vit Bellatrix disparaître par la porte située de l’autre côté. Au-delà, il y avait le couloir qui conduisait aux ascenseurs.

Il courut à toutes jambes, mais elle avait claqué derrière elle la porte lisse et noire et le mur circulaire s’était déjà mis à tourner sur lui-même. Une fois de plus, il se trouva entouré des traînées bleuâtres que dessinaient les flammes tournoyantes des candélabres.

— Où est la sortie ? hurla-t-il avec l’énergie du désespoir.

Le mur s’arrêta aussitôt.

— Par où sort-on d’ici ?

C’était comme si la pièce avait attendu qu’il lui pose la question. La porte située derrière lui s’ouvrit toute seule et il vit apparaître, éclairé par les torches, le couloir désert qui menait aux ascenseurs. Il courut…

Harry entendit devant lui le grincement d’une cabine en mouvement. Il se précipita, tourna le coin et appuya à coups de poing sur le bouton d’appel. Une autre cabine descendit dans un cliquetis de ferraille bringuebalante qui se rapprochait peu à peu. La grille coulissa enfin et Harry se rua à l’intérieur, écrasant le bouton qui indiquait « Atrium ». La grille se referma et l’ascenseur s’éleva…

Parvenu à l’étage, il força le passage hors de la cabine avant même que la grille ait fini de s’ouvrir et regarda autour de lui. Bellatrix avait presque atteint la cabine téléphonique, à l’autre bout du hall, mais lorsqu’elle l’entendit courir, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et lui lança un nouveau sortilège. Harry se réfugia derrière la fontaine de la Fraternité magique. Le sortilège le rata et alla frapper, à l’autre extrémité de l’atrium, les deux grandes portes d’or ouvragées qui tintèrent comme des cloches. Les bruits de pas s’interrompirent. Elle avait cessé de courir. Harry s’accroupit derrière les statues, l’oreille aux aguets.

— Allez, allez, sors de là, mon petit Harry ! cria-t-elle en imitant une voix de bébé qui résonna en écho sur le parquet verni. Sinon, à quoi ça sert de me courir après ? Je croyais que tu étais là pour venger mon cher cousin !

— Oui, c’est pour ça que je suis là ! hurla Harry.

Ce fut comme si une vingtaine d’autres Harry fantomatiques avaient crié après lui : « Oui, c’est pour ça que je suis là ! Oui, c’est pour ça que je suis là ! Oui, c’est pour ça que je suis là ! » tout autour du hall.

— Aaaaaah… Fallait-il que tu l’aimes, bébé Potter !

Une haine telle qu’il n’en avait jamais ressenti auparavant monta en lui. Il bondit hors de sa cachette et lança :

— Endoloris !

Bellatrix poussa un cri. Le maléfice l’avait jetée à terre mais elle ne se tortilla pas en hurlant de douleur, comme l’avait fait Neville. Un instant plus tard, elle s’était déjà relevée, le souffle court, et ne riait plus du tout. Harry se réfugia à nouveau derrière la fontaine d’or. L’antisort que lui jeta Bellatrix frappa de plein fouet le beau visage du sorcier. Sous le choc, sa tête s’arracha de son cou et atterrit cinq ou six mètres plus loin en traçant de longues rayures sur le parquet.

— C’est la première fois que tu lances un Sortilège Impardonnable, n’est-ce pas, mon garçon ? hurla-t-elle.

Elle avait renoncé à sa voix de bébé.

— Il faut vraiment vouloir la souffrance de l’autre, Potter ! Et y prendre plaisir. La juste et sainte colère n’aura pas beaucoup d’effet sur moi. Laisse-moi te montrer comment faire, d’accord ? Je vais te donner une leçon.

Harry contournait silencieusement la fontaine lorsqu’elle s’écria :

— Endoloris !

Et il dut se baisser à nouveau en voyant le bras du centaure qui tenait son arc s’envoler dans les airs et se fracasser sur le sol tout près de la tête d’or du sorcier.

— Potter, tu ne peux pas gagner contre moi ! hurla-t-elle.

Il l’entendit se déplacer vers la droite, à la recherche d’un angle de tir. Il tourna autour de la fontaine pour s’éloigner d’elle, accroupi derrière les jambes du centaure, sa tête à la hauteur de celle de l’elfe.

— J’ai été et je reste la plus loyale servante du Maître des Ténèbres. C’est lui qui m’a appris à maîtriser les forces du Mal et je connais des sortilèges d’une telle puissance que tu ne seras jamais de taille à rivaliser avec moi, pauvre petit bonhomme…

 Stupéfix ! cria Harry.

Il s’était glissé derrière le gobelin qui levait un visage radieux vers le sorcier à présent décapité et il l’avait visée dans le dos alors qu’elle le cherchait de l’autre côté de la fontaine. Elle réagit avec une telle rapidité qu’il eut à peine le temps de se baisser.

 Protego !

Le jet de lumière rouge qu’avait produit son propre maléfice rebondit vers lui. Il se rua à nouveau derrière la fontaine tandis qu’une oreille de gobelin traversait la pièce en vol plané.

— Potter, je vais te laisser une chance ! cria Bellatrix. Donne-moi la prophétie – fais-la rouler vers moi – et je t’accorderai peut-être la vie sauve !

— Dans ce cas, vous allez devoir me tuer parce que la prophétie n’existe plus ! rugit Harry.

Une douleur aiguë lui traversa le front. Sa cicatrice était à nouveau en feu et il sentit monter en lui une fureur qui n’avait rien à voir avec sa propre rage.

— Et il le sait ! ajouta Harry avec un rire démentiel digne de Bellatrix. Votre cher vieux copain Voldemort sait que la prophétie n’existe plus. Il ne va pas être très content de vous, j’imagine ?

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? s’écria-t-elle.

Pour la première fois, il y avait de la peur dans sa voix.

— La prophétie s’est cassée pendant que j’essayais d’aider Neville à remonter les gradins ! À votre avis, qu’est-ce que Voldemort va dire de ça ?

Sa cicatrice le brûlait… La douleur était telle que ses yeux se remplissaient de larmes…

— MENTEUR ! vociféra-t-elle.

Mais une véritable terreur perçait derrière sa colère, à présent.

— TU L’AS ENCORE, POTTER, ET TU VAS ME LA DONNER ! Accio prophétie ! ACCIO PROPHÉTIE !

Harry éclata à nouveau d’un grand rire destiné à la rendre folle de rage. La douleur s’était intensifiée, sa tête semblait sur le point d’exploser. Il agita sa main vide derrière le gobelin à l’oreille cassée et la retira très vite alors qu’elle dirigeait sur lui un autre jet de lumière verte.

— Rien dans ma main ! cria Harry. On ne peut rien me prendre du tout ! Elle s’est cassée et personne n’a entendu ce qu’elle disait, vous pourrez raconter ça à votre patron !

— Non ! s’égosilla-t-elle. Ce n’est pas vrai, tu mens ! MAÎTRE, J’AI ESSAYÉ, J’AI ESSAYÉ − NE ME PUNISSEZ PAS…

— Inutile de gaspiller votre salive ! s’écria Harry.

Il ferma les yeux, luttant contre une douleur plus terrible que jamais.

— Il ne peut pas vous entendre d’ici !

— Vraiment, Potter ? dit alors une voix aiguë et glacée.

Harry rouvrit les yeux.

Grand, mince, un capuchon noir sur la tête, son terrible visage de serpent blafard et émacié, ses yeux rouges aux pupilles étroites fixés sur lui… Lord Voldemort venait d’apparaître au milieu du hall, sa baguette pointée sur Harry qui était figé de stupeur, incapable de faire un geste.

— Ainsi, tu as brisé ma prophétie ? dit Voldemort à mi-voix, ses yeux rouges au regard implacable rivés sur Harry. Non, Bella, il ne ment pas… Je vois la vérité dans son esprit méprisable… des mois de préparation, des mois d’efforts… Et mes Mangemorts, une fois de plus, ont permis à Harry Potter de contrarier mes plans…

— Maître, je suis désolée, je ne savais pas, je combattais Black, l’Animagus ! sanglota Bellatrix en se jetant aux pieds de Voldemort qui s’approchait lentement. Maître, il faut que vous sachiez…

— Tais-toi, coupa Voldemort d’un ton menaçant. Je m’occuperai de toi tout à l’heure. Crois-tu donc que je suis venu au ministère de la Magie pour t’entendre pleurnicher des excuses ?

— Mais, Maître… il est ici… en dessous…

Voldemort ne lui accorda aucune attention.

— Je n’ai rien de plus à te dire, Potter, reprit-il à voix basse. Tu m’as exaspéré trop souvent et trop longtemps. AVADA KEDAVRA !

Harry n’avait même pas ouvert la bouche pour tenter de résister. Il avait l’esprit vide, sa baguette magique inutilement pointée vers le sol.

Mais la statue décapitée du sorcier s’était soudain animée. Elle sauta de son piédestal, atterrit avec un grand bruit sur le parquet et se dressa de toute sa hauteur entre Harry et Voldemort. Le sortilège rebondit sur la poitrine de la statue qui étendit les bras pour protéger Harry.

— Quoi ? s’écria Voldemort en regardant autour de lui. Dumbledore ! dit-il alors dans un souffle.

Le cœur battant, Harry jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Dumbledore se tenait devant les portes d’or.

Voldemort leva sa baguette et un autre jet de lumière verte jaillit en direction de Dumbledore qui se retourna et disparut dans un tourbillon de sa cape. Un instant plus tard, il réapparut derrière Voldemort et agita sa baguette vers ce qui restait de la fontaine. Les autres statues s’animèrent à leur tour. Celle de la sorcière se rua sur Bellatrix qui poussa un hurlement. Elle essaya de l’arrêter, mais ses sortilèges rebondissaient sur la poitrine d’or de la statue qui plongea sur elle et la plaqua au sol. Pendant ce temps, le gobelin et l’elfe de maison se précipitèrent vers les cheminées aménagées le long des murs et le centaure manchot galopa en direction de Voldemort. Celui-ci se volatilisa aussitôt et réapparut au bord du bassin. D’un geste, la statue sans tête écarta Harry pour l’éloigner du combat tandis que Dumbledore marchait sur Voldemort, le centaure galopant autour d’eux.

— C’était une idiotie de venir ce soir, Tom, dit Dumbledore d’un ton très calme. Les Aurors sont en route…

— Et quand ils arriveront, je serai parti et tu seras mort ! cracha Voldemort.

Il envoya un autre sortilège mortel à Dumbledore mais il le rata. L’éclair frappa le bureau du sorcier-vigile et y mit le feu.

Dumbledore remua légèrement sa baguette magique et la force du sortilège qui en sortit fut telle que, malgré la protection de la statue d’or, les cheveux de Harry se dressèrent sur sa tête quand il en sentit le souffle. Cette fois, Voldemort fit apparaître un bouclier d’argent étincelant pour dévier le jet de lumière. Le sortilège, dont Harry ignorait la nature, ne causa aucun dégât au bouclier mais, sous le choc, une note grave, semblable à celle d’un gong, s’en éleva et résonna dans toute la salle en un son étrange, à glacer le sang.

— Tu ne cherches pas à me tuer, Dumbledore ? lança Voldemort, ses yeux écarlates plissés au-dessus de son bouclier. Tu ne t’abaisses pas à de telles brutalités, n’est-ce pas ?

— Nous savons tous les deux qu’il existe d’autres moyens de détruire un homme, Tom, répondit Dumbledore, toujours aussi calme.

Il continuait d’avancer vers Voldemort comme s’il n’éprouvait pas la moindre peur, comme si rien ne s’était passé qui pût interrompre sa marche à travers le hall.

— Me contenter de prendre ta vie ne me satisferait pas, je l’avoue…

— Il n’y a rien de pire que la mort, Dumbledore, gronda Voldemort avec hargne.

— Tu te trompes complètement, répliqua Dumbledore.

Il s’approchait inexorablement en parlant d’un ton aussi léger que s’ils étaient en train de boire un verre. Harry avait peur en le voyant s’avancer ainsi, sans défense, sans rien pour le protéger, il avait envie de crier pour l’avertir mais son gardien sans tête continuait de le pousser contre le mur, déjouant toutes ses tentatives pour le contourner.

— En vérité, ton incapacité à comprendre qu’il existe des choses bien pires que la mort a toujours constitué ta plus grande faiblesse…

Un autre jet de lumière verte jaillit de derrière le bouclier. Cette fois, ce fut le centaure manchot, galopant devant Dumbledore, qui reçut l’éclair de plein fouet et se brisa en mille morceaux. Mais avant que les débris aient eu le temps de retomber sur le sol, Dumbledore avait brandi sa propre baguette comme s’il s’agissait d’un fouet. Une longue flamme mince fusa alors de son extrémité et s’enroula autour de Voldemort et de son bouclier. Pendant un instant, il sembla que Dumbledore avait remporté la victoire mais la corde enflammée se transforma soudain en un serpent qui relâcha aussitôt son étreinte et se retourna vers Dumbledore en sifflant avec fureur.

Voldemort se volatilisa. Le serpent se dressa, prêt à frapper…

Une gerbe de flammes explosa dans les airs, au-dessus de Dumbledore, juste au moment où Voldemort réapparaissait, debout sur le piédestal, au milieu du bassin où, quelques minutes plus tôt, se dressaient encore les cinq statues.

— Attention ! hurla Harry.

Mais à l’instant même où il avait crié, un nouveau jet de lumière verte jaillit de la baguette de Voldemort et le serpent attaqua…

Fumseck apparut soudain devant Dumbledore et fondit, le bec grand ouvert, sur le rayon de lumière qu’il avala tout entier. L’oiseau se consuma alors dans un jaillissement enflammé et tomba sur le sol en une petite boule de plumes ratatinée, incapable de voler. Au même moment, Dumbledore brandit sa baguette magique et décrivit dans les airs un long mouvement fluide. Le serpent, qui était sur le point de planter ses crochets dans sa chair, s’envola puis s’évapora en une volute de fumée noire tandis que l’eau du bassin s’élevait brusquement et enveloppait Voldemort comme un cocon de verre fondu.

Pendant quelques secondes, Voldemort ne fut plus qu’une silhouette sombre, ondulante, dépourvue de visage, dont la forme indécise et luisante se débattait sur le piédestal pour essayer d’échapper à cette masse vitreuse qui l’étouffait.

Soudain, il disparut et l’eau retomba avec fracas, déferlant sur les bords du bassin, inondant le parquet verni.

— MAÎTRE ! hurla Bellatrix.

C’était terminé. Sans aucun doute, Voldemort avait pris la fuite. Harry était sur le point de s’élancer pour échapper à son garde du corps sans tête mais Dumbledore s’écria :

— Reste où tu es, Harry !

Pour la première fois, Dumbledore parut effrayé. Harry ne comprenait pas pourquoi. Il n’y avait personne d’autre dans le hall. Bellatrix, secouée de sanglots, était toujours prisonnière de la sorcière d’or et Fumseck, redevenu un bébé phénix, poussait de petits croassements sur le sol.

La cicatrice de Harry s’ouvrit alors brusquement et il sut qu’il était mort : la douleur dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer, tout ce qu’on pouvait supporter.

Il ne voyait plus le hall, il se trouvait à présent prisonnier des anneaux d’une créature aux yeux rouges, si étroitement serrée autour de lui que Harry n’arrivait plus à distinguer la limite entre son propre corps et celui de la créature. Ils avaient fusionné, unis dans la douleur, sans aucune fuite possible.

Lorsque la créature parla, ce fut par la bouche de Harry qui sentit au milieu de sa souffrance ses mâchoires remuer…

— Tue-moi, maintenant, Dumbledore…

Aveuglé, agonisant, tout son corps suppliant qu’on le délivre, Harry sentit la créature parler à nouveau à travers lui :

— Si la mort n’est rien, Dumbledore, tue ce garçon…

« Que la douleur s’arrête, pensa Harry… Qu’il nous tue… Finissons-en, Dumbledore… La mort n’est rien, comparée à ça… Et je reverrai Sirius…»

Tandis que l’émotion submergeait le cœur de Harry, les anneaux de la créature se relâchèrent soudain, et la douleur disparut. Harry était maintenant étendu à plat ventre sur le sol, sans ses lunettes, le corps frissonnant comme si le bois ciré s’était transformé en glace…

Il entendit alors des voix résonner dans le hall, plus nombreuses qu’elles n’auraient dû l’être… Harry ouvrit les yeux et aperçut ses lunettes au pied de la statue décapitée qui était à présent allongée sur le dos, craquelée et immobile. Il les remit aussitôt, releva légèrement la tête et vit le nez aquilin de Dumbledore à quelques centimètres du sien.

— Ça va, Harry, tu n’es pas blessé ?

— Ça va, répondit-il en tremblant si violemment qu’il n’arrivait plus à tenir la tête droite. Je… non… où est Voldemort… qui sont ces… qu’est-ce que… ?

L’atrium était rempli de monde. Le parquet brillant reflétait les flammes vert émeraude qui avaient jailli dans toutes les cheminées aménagées le long des murs, et d’où émergeait un flot continu de sorcières et de sorciers. Lorsque Dumbledore l’aida à se relever, Harry vit les petites statues d’or de l’elfe et du gobelin amener vers eux un Cornélius Fudge abasourdi.

— Il était là ! s’écria un homme vêtu d’une robe écarlate, les cheveux coiffés en catogan.

Il montrait du doigt un tas de débris dorés de l’autre côté du hall, là où Bellatrix s’était trouvée plaquée au sol quelques instants auparavant.

— Je l’ai vu, Mr Fudge. Je vous jure que c’était Vous-Savez-Qui. Il a emmené cette femme avec lui et il s’est enfui en transplanant.

— Je sais, Williamson, je sais, je l’ai vu aussi ! balbutia Fudge qui portait un pyjama sous sa cape à rayures et haletait comme s’il venait de courir plusieurs kilomètres. Par la barbe de Merlin… Ici… Ici même ! Au ministère de la Magie ! Par tous les dieux du ciel ! Comment est-ce possible… ma parole… comment cela a-t-il pu… ?

— Allez donc faire un tour au Département des mystères, Cornélius, dit Dumbledore.

Satisfait d’avoir vu Harry en bonne santé, il s’avança ostensiblement afin que les nouveaux venus s’aperçoivent de sa présence (quelques-uns d’entre eux levèrent leur baguette, d’autres parurent simplement stupéfaits. Les statues de l’elfe et du gobelin applaudirent et Fudge sursauta si violemment que ses pieds chaussés de pantoufles quittèrent brièvement le sol).

— Vous trouverez dans la chambre de la Mort plusieurs des Mangemorts évadés, immobilisés par un maléfice Antitransplanage, en attendant de savoir ce que vous comptez faire d’eux.

— Dumbledore ! bredouilla Fudge, médusé. Vous… Ici… Je… Je…

Il lança des regards frénétiques aux Aurors qui l’accompagnaient. De toute évidence, il était à deux doigts de s’écrier : « Saisissez-vous de lui ! »

— Cornélius, je suis prêt à affronter vos hommes – et à les vaincre une fois de plus ! tonna Dumbledore. Mais, il y a quelques minutes, vous avez eu devant les yeux la preuve que, depuis un an, je vous disais la vérité. Lord Voldemort est revenu, vous avez recherché pendant douze mois un homme qui n’était pas coupable et il serait temps que vous redeveniez raisonnable !

— Je… Ne… Bon…, bégaya Fudge.

Il jeta un coup d’œil autour de lui comme s’il espérait que quelqu’un allait lui dire ce qu’il devait faire. Voyant que personne ne réagissait, il poursuivit :

— Très bien… Dawlish ! Williamson ! Descendez au Département des mystères et voyez ce qu’il en est… Dumbledore, il… il va falloir que vous m’expliquiez exactement… La fontaine de la Fraternité magique… Qu’est-ce qui s’est passé ? ajouta-t-il dans une sorte de gémissement en contemplant les débris des statues de la sorcière, du sorcier et du centaure, éparpillés sur le sol.

— Nous parlerons de tout ça lorsque j’aurai renvoyé Harry à Poudlard, répondit Dumbledore.

— Harry… Harry Potter ?

Fudge pivota sur ses talons et regarda Harry, debout près du mur, à côté de la statue couchée par terre qui l’avait protégé pendant le duel entre Dumbledore et Voldemort.

— Lui… Ici ? dit Fudge. Pourquoi… Qu’est-ce que ça signifie ?

— Je vous expliquerai tout, assura Dumbledore, lorsque Harry sera de retour à l’école.

Il s’éloigna du bassin et s’approcha de l’endroit où se trouvait la tête arrachée du sorcier d’or. Sa baguette pointée, il murmura :

 Portus.

La tête brilla d’une lueur bleue et se mit à vibrer bruyamment contre le sol pendant quelques secondes avant de redevenir inerte.

— Attendez un peu ! dit Fudge alors que Dumbledore ramassait la tête d’or pour l’apporter à Harry. Vous n’avez aucune autorisation pour ce Portoloin ! Vous ne pouvez pas faire des choses comme ça sous les yeux du ministre de la Magie, vous… vous…

Sa voix s’étouffa sous le regard impérieux de Dumbledore qui le fixait par-dessus ses lunettes en demi-lune.

— Vous allez donner l’ordre de mettre fin aux fonctions de Dolores Ombrage à Poudlard, déclara Dumbledore. Vous allez dire à vos Aurors d’arrêter de rechercher mon professeur de soins aux créatures magiques afin qu’il puisse reprendre son travail. Je vais vous accorder… – Dumbledore tira de sa poche une montre à douze aiguilles qu’il consulta d’un bref coup d’œil – une demi-heure de mon temps, au cours de laquelle je vous résumerai l’essentiel de ce qui s’est passé ici. Après cela, il me faudra retourner à mon école. Si vous avez encore besoin de mon aide, je serai ravi de vous l’apporter, il vous suffira de me contacter à Poudlard. Les lettres adressées au directeur me parviendront.

Fudge, les yeux exorbités, resta bouche bée, son visage rond rosissant à vue d’œil sous ses cheveux gris en désordre.

— Je… Vous…

Dumbledore lui tourna le dos.

— Prends ce Portoloin, Harry.

Il lui tendit la tête d’or de la statue et Harry posa la main dessus, trop égaré pour se soucier de ce qu’il allait faire maintenant ou de l’endroit où il atterrirait.

— Je te retrouverai dans une demi-heure, dit Dumbledore à voix basse. Un… deux… Trois…

Harry éprouva à nouveau la sensation familière d’une secousse derrière le nombril, comme si on le tirait avec un crochet. Le parquet verni se déroba sous ses pieds, l’atrium, Fudge, Dumbledore disparurent et il s’envola dans un tourbillon de couleurs et de sons…

 

Harry Potter et l'ordre du Phénix
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